Le droit du travail et les plateformes numériques (Uber, Deliverro, Take Eat Easy et autres)
Il a fallu attendre le 28 novembre 2018 pour que la Cour de cassation se prononce juridiquement sur la qualification de la relation de travail convenue entre un coursier à vélo et la société Take Eat Easy (société liquidée en août 2016) :
La Cour de cassation a en effet évincé le statut d’autoentrepreneur du coursier à vélo au bénéfice du statut de salarié.
La fausse liberté des coursiers à vélo
La Cour de cassation a retenu deux éléments principaux pour retenir l’existence d’un lien de subordination – élément principal de qualification du contrat de travail – entre le coursier à vélo et son employeur, la société Take Eat Easy, à savoir :
- L’utilisation d’un système de géolocalisation, permettant à la société Take Eat Easy de suivre en temps réel la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci ;
- et un système de « strikes » : qui sont des sanctions graduées, allant de l’avertissement à la désactivation, et distribuées selon l’appréciation du comportement du coursier (refus d’une course, etc.) par la société.
Les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’employeur étaient également caractérisés par le fait que les coursiers étaient équipés d’un téléphone à travers lequel la société leur notifiait des ordres « en permanence ». Les coursiers n’avaient pas non plus le choix de décider quand ils souhaitaient travailler puisque les horaires leur étaient imposés.
La Cour de cassation requalifiait le contrat de prestation de services en contrat de travail en rappelant le principe civiliste selon lequel « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ».
La fausse liberté des chauffeurs Uber
Après les coursiers à vélo, c’est au tour des chauffeurs Uber de voir requalifier leur contrat en contrat prestation de services en contrat de travail, par la Cour d’appel de Paris, le 10 janvier 2019.
Après avoir analysé clause par clause le contrat Uber et observé étape par étape le fonctionnement d’une course, les juges du fond ont estimé qu’un faisceau d’indices permettait de caractériser le lien de subordination dans lequel le chauffeur Uber se trouvait lors de ses connexions à la plateforme Uber.
Les juges relèvent que le chauffeur est « loin de décider librement de l’organisation de son activité », puisque :
- le travailleur n’a pas la possibilité de constituer une clientèle propre, la charte de la communauté Uber le lui interdit ;
- il lui est impossible de choisir librement ses tarifs, ceux-ci sont fixés contractuellement par les algorithmes de la plateforme ;
- le chauffeur n’a la liberté de déterminer les conditions d’exercice de sa prestation de transport puisqu’il doit se connecter à la plateforme pour travailler « qui lui donne des directives, en contrôle l’exécution et exerce un pouvoir de sanction à son endroit ».
- en matière de directives, le chauffeur doit suivre les instructions GPS de l’application et appliquer les recommandations comportementales du contrat;
- s’agissant du contrôle de l’exécution de la prestation, la cour explique que la désactivation possible de l’application en cas de refus de sollicitations a pour effet d’inciter les chauffeurs « à se tenir constamment, pendant la durée de connexion, à la disposition de la société ».
- les chauffeurs font bien l’objet d’un contrôle, via un système de géolocalisation ;
- sur le pouvoir de sanction, les chauffeurs peuvent se voir désactivés de l’application, à la suite de signalements émanant des utilisateurs. La perte d’accès est laissée à la discrétion de la société, « peu important que les faits reprochés soient constitués ou que leur sanction soit proportionnée à leur commission ».
En conséquence, le service de prestation de transport est entièrement organisé par Uber et n’existe que grâce à la société.
La société Uber a néanmoins formé un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.
- Quelles sanctions peuvent être prononcées à l’encontre de la plateforme lorsqu’un contrat de prestation de service est requalifié en contrat de travail ?
Lorsqu’un contrat est requalifié en contrat de travail, les sanctions liées à la violation des garanties inhérentes au salariat sont les suivantes :
- L’application du salaire minimum,
- L’application des règles relatives à la durée du travail et au repos hebdomadaire,
- Le rappel de salaires pour les heures supplémentaires,
- L’abondement du compte formation,
- Le versement de l’indemnité compensatrice de congés payés, de préavis et de licenciement, etc.
- Le risque de condamnation pour travail dissimulé est également important.
Si les décisions judiciaires ordonnant la requalification de la relation en contrat de travail au profit du salarié se déploient, elles ne vont pas mettre à mal l’économie des plateformes.
En revanche, si l’URSSAF entre dans la partie, les sommes récupérables seront nettement plus importantes que celles résultant d’une requalification individuelle puisque les contrôles menés par l’URSSAF peuvent porter sur l’ensemble des salariés d’une entreprise. Le contentieux reste à suivre..